Affichage des articles dont le libellé est Michel Collot. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Michel Collot. Afficher tous les articles

samedi 19 octobre 2013

Les eaux diaphanes

A.Immelé, lac noir, extrait de WIR. Tirage argentique, 40x40 cm.

"Parmi les phénomènes éphémères que sont les variations climatiques, les brumes, les nuées, les averses et les pluies, cristallisent la relation intime qui se noue entre le regardeur et le paysage. Le photographe, comme le peintre relie ces éléments physiques transitoires à ses états de pensées et d'émotions. Dans Le sauvage et l'artifice. Les japonais devant la nature, Augustin Berque remarque que : « telle pluie ne tombe qu'en telle saison, voir à tel moment de la journée, parce qu'elle est inséparable de tout un monde de sensations, d'émotions, dont l'enchaînement plus ou moins codifié l'enclave dans certains paysages. » Cela est repris dans La pensée-paysage de Michel Collot, ouvrage qui considère le paysage comme phénomène, plus que comme représentation. Michel Collot rappelle le lien vital que relie le poète, le voyant au paysage, « je suis ce que je vois » écrivait Valery, « Je suis ce qui m'entoure », Wallace Stevens.

A propos de l'une de mes photos, celle du Lac Blanc, dans un texte intitulé L'approche,Jean-Luc Nancy écrivait « Photo, instantanée. Au lieu de moi, le monde ». Dans Lumière étale, paru dans WIR : « Les eaux diaphanes des yeux, leurs humeurs cristallines et vitrées sont étales à leur tour : ni marée de larmes, ni jusant de froideur, mais le très lent bougé d'un sentiment sûr et fragile qui suspend ces humeurs au contact de l'image, qui leur communique son équilibre mouvant pendant qu'il vient s'étaler contre elles. ». Liquidité des humeurs secrétées par notre corps en échos aux nuages, vapeurs, brumes, ou fumées. Dans mes photographies, je considère le paysage comme expérience sensible, comme manière d'habiter le monde." A.I

mardi 27 décembre 2011

Markus Raetz à la BNF



"L’espace d’exposition de la BNF (Richelieu) apparait comme un sanctuaire gris, calme, apaisant. C’est dans cet écrin neutre, que se déploie l’œuvre de Markus Raetz : des estampes réalisées avec des techniques diverses comme l’héliogravure, l’aquatinte, et autres procédés d’impression, mais aussi quelques volumes et sculptures. Qu’il s’agisse de deux ou de trois dimensions, ce qui semble intéresser l’artiste est l’émergence d’une image, son apparition, puis sa présence, ainsi que l’ambiguïté et la multiplicité de sa perception. Certaines œuvres illustrent littéralement cette variation de la perception, comme Crossing où des polices de caractères en laiton se transforment de YES en NO selon la position d’où l’on regarde, ou dans l’héliogravure ME/WE, ou ME se transforme en WE dans un miroir.
PERSON D est une séquence de huit aquatintes (1985) qui permettent de percevoir un visage, selon des perceptions variables ; le visage d’abord très pâle, disparaît peu à peu dans l’obscurité. Au départ nous observons ce visage, dont nous distinguons les traits, puis, peu à peu, c’est le visage qui nous regarde, car seuls les yeux sont visibles, présents.
D’autres œuvres s’attardent sur ce qui permet l’émergence d’une image, matérialisant le regard lui-même comme dans  VISION (aquatinte, 1985-86) ou dans VUES (eau-forte, 1991), le regard y est matérialisé par des faisceaux.  VUES BINOCULAIRE (héliogravure, 2001 et ses variations, dont GAZE, aquatinte de 2001, utilisée pour la couverture du catalogue et pour l’affiche) figure la vision vers l’horizon à travers deux cercles qui rappellent l’usage des jumelles. Ainsi Markus Raetz rend tangible la place du regardeur et les conditions matérielles d’un regard tourné vers l’horizon. L’horizon, notion qui a elle seule résume l’idée occidentale de paysage. Nous retrouvons l’horizon au centre de Zeemansblick, une tôle de zinc  découpée en forme d’image binoculaire, qui reflète les lumières et les teintes de la salle d’exposition, dans des tonalités bleutées de la mer (photo 2), d’où le titre qui indique cet effet visuel comme étant le regard que le marin lance vers le lointain. Un pli dans la tôle donne l’illusion de la ligne d’horizon entre mer et ciel.
Du paysage, il en est aussi question dans la suite de sept aquatintes  "NO W HERE" (photo 1): « Il suffit de quelques traits de pinceau à l’eau-forte, morsure directe, répartis sur la plaque, pour que se déclenche l’illusion du paysage, un paysage imaginé. » lit-on dans le catalogue de l’exposition (p.61). Ces paysages rappellent les aquarelles de Victor Hugo et les paysages romantiques dans une conception du paysage comme « extension d’une intimité ». Les paysages sont introduits par les mots NOWHERE, (planche de titre, gravure au criblé) offrant une double lecture (now here / no where). Le paysage n’est pas immuable, il existe dans une relation avec le regard qui le construit, ou tout du moins en pose quelques contours comme le fait Markus Raetz avec des zones colorées qui sont autant d’indications de profondeur et d’atmosphère. Face aux paysages de Raetz, je pense à La pensée-paysage, livre de Michel Collot paru récemment chez Actes Sud et à la manière dont Michel Collot envisage le paysage comme phénomène « qui n’est ni une pure représentation ni une simple présence, mais le produit de la rencontre entre le monde et un point de vue. » (p.18)
Lignes, ombres, visions, trames colorées autant d’élément constitutif d’une image créée à partir de procédés d’empreinte, de morsure, de procédés physiques et chimiques bien loin de l’image virtuelle ; autant d’éléments qui constituent une image à la dimension auratique.
L’exposition s’achève sur l’image du cercle, notamment avec un tampon rouge qui figure un anneau de Moebius, dont les faces internes et externes sont indiscernables et qui me rappelle ce chemin-tournant du poème de Pierre Reverdy :
"Il y a un terrible gris de poussière dans le temps / Un vent du sud avec de fortes ailes / Les échos sourds de l'eau dans le soir chavirant / Et dans la nuit mouillée qui jaillit du tournant / des voix rugueuses qui se plaignent (…) Quand le pas du marcheur sur le cadran qui compte / règle le mouvement et pousse l’horizon / (…) »
(à lire intégralement dans Pierre Reverdy, Sources du vent, poésie/Gallimard, p.63)" Anne Immelé 

Markus Raetz, Estampes / sculptures, du 8 novembre 2011 au 12 février 2012 Bibliothèque Nationale de France