" Le négatif a connu différents supports au cours de l’histoire de la photographie : papier avec le calotype, sur verre avec le collodion humide, sur plastique avec le film. Sur ce support est déposée une émulsion photochimique. Lorsque l’on regarde une épreuve, un tirage, nous voyons un positif, nous oublions le support négatif qui lui a donné naissance. Mais parfois, des poussières sur l’émulsion ou des incisions viennent nous rappeler la provenance de l’image photographique. Parfois lorsque le négatif présente des imperfections, l’encre ou le crayon sont utilisés pour le retoucher, et le plus souvent cette action ne se voit pas. L’utilisation du crayon ou de l’encre corrige des défauts, il sert à effacer notamment dans le portrait, une cerne, un bouton. Parfois ce geste qui se veut invisible acquiert une dimension spectrale, comme dans un calotype de Victor Regnault. Ce calotype réalisé vers 1850, montre la femme et la fille du photographe, il a été analysé par Georges Didi Huberman dans un texte intitulé « Superstition ». Si nous observons attentivement le tirage, nous nous rendons compte que dans la partie droite de l’image, il y a un vide : quelqu’un ou quelque chose semble avoir été effacé. Une forme disparaît dans le blanc lumineux. Victor Regnault a effacé quelque chose, pour ce faire, il a recouvert cette chose avec un crayon à mine de plomb, ce qui a noirci le négatif papier, qui est devenu une auréole de blanc poudreux sur le tirage. Le dépôt de la mine de plomb noir est devenu une lumière d’artifice, d’effacement. Le dépôt devient absence. Qu’a effacé Victor Regnault ? Nous savons que Victor Regnault réalisait beaucoup de portraits de sa famille, lorsqu’un enfant bouge trop il devient flou. Regnault n’appréciait pas le flou de bougé, il souhaitait une exactitude de la photographie, c’est pourquoi G.Didi Huberman émet l’hypothèse que Victor Regnault a effacé l’un de ses fils. Le texte s’intitule Superstition car l’auteur relie ce geste d’effacement avec la mort tragique des deux fils du photographe....."
Anne Immelé, extrait de la conférence Les liens entre photographie et dessin, dans le cadre de l'exposition Les constructions invisibles de Bertrand Flachot, à la Galerie Stimultania, Strasbourg, le 17 juin à 18h30.
" Les liens entre la photographie et le dessin semblent étroits. Nicéphore Niépce nomme son invention l'«héliographie», l'écriture avec le soleil. Par extension : la photographie, "photo-graphein" c'est l'écriture, le tracé et l'empreinte par la lumière. Dans les années 1830, William Henri Fox Talbot expérimente ses photogenic drawings (dessins photogéniques) et publie The pencil of nature entre 1844 et 1846. En remontant aux expérimentations des primitifs de la photographie, il s'agira de s'interroger sur les enjeux perceptifs de ce «dessin avec la lumière», jusqu'à son élargissement à l'ère du numérique ".
Georges Didi Huberman, « Supersitition » in Phasmes, essais sur l’apparition, Minuit, Paris, 1998.
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